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Photo du rédacteurKsenia Hleap

Bel exercice de dégustation d’un thé avec Carine Baudry

Carine Baudry est aromaticienne diplômée de l’ISIPCA, expert-dégustateur spécialisée dans le domaine du thé et des infusions depuis plus de quinze ans, Présidente du Jury du Concours "Les Thés du Monde" AVPA-Paris .

La dégustation est un exercice magique qui peut parfois s’avérer difficile, car tous les sens sont sollicités. Comprendre comment les sens fonctionnent, savoir reconnaître les informations perçues permet de profiter au maximum de ce moment.

L’objectif de la dégustation oriente la façon dont on l’aborde.

En effet, que l’on déguste pour le plaisir, pour analyser ou évaluer un thé, la posture sera à chaque fois différente, tout en faisant travailler les mêmes sens.

Je vous propose de me suivre pour ce bel exercice de dégustation d’un thé…


Le premier contact avec les feuilles de thé, avec votre liqueur de thé se fait bien grâce à la vue. Vous voyez, regardez, admirez ! La vue nous apporte beaucoup d’informations : qualité de le feuille, qualité de la récolte (présence de bourgeons, de jeunes pousses), type de process (les réactions chimiques qui ont lieu dans la feuille de thé au moment du process comme l’oxydation, la torréfaction ou même la fermentation ont un impact sur la couleur des feuilles et aussi de la liqueur), mais aussi qualité de la préparation (une liqueur trouble, par exemple, nous donne des indications sur la minéralité de l’eau utilisée et ne présage rien de bon pour la dégustation)…

La vue nous permet donc d’admirer le thé, mais aussi de le comprendre.

Attention toutefois aux présuppositions qui peuvent biaiser la dégustation. La vue étant le premier contact avec le thé, l’information visuelle peut nous amener sur des mauvaises pistes et créer des présuppositions. L’exemple le plus fréquent est l’idée qu’un thé serait peu intense parce qu’il est trop clair en couleur.

Vient ensuite le tour de l’odorat. L’odorat est très complexe, sans doute le plus complexe de nos cinq sens. Il est capable de nous transporter dans nos souvenirs les plus profonds et les plus lointains.

Nous sollicitons tout d’abord l’odorat par olfaction directe au moment où nous approchons la tasse de thé de notre nez. Les composés odorants présents dans la liqueur passent en partie dans l’air et suivent le torrent gazeux de la respiration.

Au moment où nous inspirons, l’air et les composés odorants traversent la cavité nasale pour arriver tout en haut du nez, au niveau de l’épithélium olfactif. Ces composés odorants sollicitent les récepteurs olfactifs et envoient des informations à notre cerveau nous permettant de sentir et analyser toutes les odeurs. L’objectif de cet article n’est pas de rentrer dans les détails du mécanisme de perception des odeurs, mais d’avantage de vous sensibiliser sur son fonctionnement.

Dans le thé, les sollicitations olfactives sont très nombreuses, car le nombre de composés odorants peut être très important. Plus de 500 molécules odorantes ont été dénombrées dans les thés. Le nombre et la nature de ces composés est bien sûr liés au type de thé, au cultivar, au terroir, au process et aussi à la manière de le faire infuser…

Arrive le moment où nous mettons la liqueur de thé en bouche. Là, 3 sens sont simultanément en action : le goût, le touché, et à nouveau l’odorat.

De nouveau l’odorat en effet, mais cette fois ci via un autre chemin, la retro olfaction. Quand la liqueur de thé est en bouche, les mêmes composés odorants passent aussi à l’état gazeux et suivent le trajet de l’air au moment de la respiration. C’est cette fois ci l’expiration qui sera importante pour percevoir les odeurs. En effet, au moment de l’expiration l’air remonte par dépression au niveau de la cavité nasale et atteint les mêmes récepteurs olfactifs. Les composés sont les mêmes, les récepteurs sont les mêmes, l’analyse est la même, seul change le chemin. Alors que nous filtrons l’air en olfaction directe pour éviter d’être agressé par les pollutions olfactives, nous percevons de façon plus complète et concentrée en olfaction retronasale, car après avoir passé le filtre de la bouche, 100% des composés peuvent atteindre les récepteurs.

Nous sommes donc plus sensibles aux odeurs en retronasale mais la présence des autres sens, comme le gout et le touché, rendent les perceptions plus complexes

Continuons notre parcours sensoriel et parlons maintenant du goût. Le terme de goût désigne aujourd’hui une perception globale en bouche incluant souvent la perception olfactive, gustative et même tactile. Sur un axe plus technique, la perception du goût désigne en fait une perception beaucoup plus réduite puisque qu’elle s’adresse normalement uniquement à la perception gustative.

Les perceptions gustatives sont majoritairement localisées sur la langue. Notre langue est composée de papilles gustatives dans lesquelles se situent des bourgeons du goût équipés de récepteurs gustatifs. Pour solliciter ces récepteurs gustatifs, les composés de l’aliment doivent se solubiliser dans la salive. Dans la Physiologie du goût, le gastronome français, Brillat-Savarin, nous dit que « le nombre de saveurs est infini ». Mais, par souci pédagogique et pour permettre une meilleure verbalisation, les perceptions proches, même si elles ne sont pas identiques, sont réunies en cinq grandes familles de saveurs associées à un descripteur : le sucré, le salé, l’amer, l’acide et l’umami. Chaque perception gustative est différente et reconnaissable.

Quand nous évoquons le sens du toucher, nous pensons souvent aux perceptions tactiles que nous avons grâce à la sensibilité de nos doigts. Cette sensation est effectivement utilisée pour évaluer la texture de la feuille sèche, sa souplesse qui donne une indication sur son traitement et son âge. Mais ceci est un faible aperçu de ce que peut nous apporter la perception tactile dans la dégustation du thé. En effet, la langue et les muqueuses de la bouche contiennent beaucoup de récepteurs tactiles. Nous sommes même plus sensibles aux informations tactiles reçues par la bouche que sur le bout des doigts. Le thé contient un grand nombre de composés dont certains, les tanins par exemple, comme pour le vin, entrent en action avec la salive. Cette réaction entraîne un dessèchement buccal, appelé astringence. En fonction de l’intensité et de la localisation de ce phénomène, nous obtenons des perceptions tactiles différentes souvent appelées textures.

Chaque sens est perçu individuellement, certes, mais l’alchimie opère avec la synergie. En effet même si la richesse des parfums et des arômes d’un thé est le point le plus recherché, ces parfums seront d’autant plus intéressants s’ils sont portés par les saveurs et la texture. Un thé trop lisse voir aqueux, sans aucune texture sera court en bouche, alors que si une fine astringence accompagne la perception, il prendra une dimension toute autre.

Percevoir est important, nommer l’est aussi. Rien de plus frustrant que de ne pouvoir poser un mot sur une sensation. Si frustrant que cela nous empêche parfois de percevoir les multitudes de choses à percevoir. Particulièrement dans la dégustation professionnelle, la connaissance et la maitrise du vocabulaire sensoriel est nécessaire. Le vocabulaire sensoriel permet de distinguer toutes les nuances de chaque sens. Il permet d’évaluer et surtout de décrire de façon la plus analytique possible avec un vocabulaire qui se doit être commun pour être partagé. Si vous voulez en savoir plus sur le vocabulaire, consultez le coffret sensoriel La QuintEssence – contact@la-quintessence.com

Vous réalisez donc qu’il primordial d’utiliser nos cinq sens (particulièrement les quatre : la vue, l’odorat, le gout et le touché) lors de la dégustation d’un thé. L’expérience, la connaissance du thé et la maitrise du vocabulaire sensoriel sont des points majeurs pour évaluer un thé.

Dans le cadre du concours de l’AVPA sur les thés du monde, j’ai eu le plaisir et l’honneur de travailler en collaboration avec l’AVPA sur la mise en place d’une grille d’évaluation la plus complète possible et la plus juste possible. Le thé peut ainsi être juger et classer par rapport aux autres thés du concours selon des critères sensoriels précis par un jury d’experts. Cette approche de l’AVPA permet aussi, à la demande, de transmettre une évaluation sensorielle du thé. L’évaluation sensorielle détaillée permet aux producteurs de savoir comment son thé est jugé et décrit par un jury d’experts occidentaux.

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